Boum

Boum. Boum. Boum.

Off with your head – Dance til you’re dead.

J’adore cette chanson, bordel. Heads Will Roll. Les Yeah Yeah Yeahs. Ça vieillit pas. Je m’en lasse pas. Du rock un peu dark, qui assassine la nuit, et la fait mourir d’une violente agonie. Dans le genre « meurtre sur le dancefloor », c’est ce qu’on a fait de mieux depuis Sophie Ellis-Bextor.  Danse jusqu’à la mort, danse jusqu’à ce qu’on te coupe la tête ; danse, danse, danse sur ces notes graves et ténébreuses, sur cette ligne de basse entêtante qui te fait sombrer dans la nuit la plus noire, qui te fait plonger au plus profond de tes tripes. Les hommes crient et pleurent, les femmes crient et pleurent, et ils dansent, et elles dansent – dansent, dansent, dansent jusqu’à leur mort. Des têtes vont tomber, et le pire, c’est qu’on va aimer ça.

Heads will roll on the floor.

Boum. Boum. Boum.

Le son pulse en cadence avec chaque battement de mon cœur, à moins que ce ne soit l’inverse. Les spots s’allument et s’éteignent, en rythme aussi ; ça baigne la salle dans une atmosphère intemporelle, irréelle. Les couleurs nous font basculer ailleurs, dans un autre monde, qui existe à peine, qui sans doute n’existe pas, qui sans doute n’existe que dans nos têtes à tous, car c’est nous qui le faisons vivre, collectivement, en dansant et en imaginant qu’il est un monde. C’est enivrant, c’est grisant, c’est irréel – la vie est bien plus rose sous les projos fuchsia. Tout baigne dans une humidité excitante. Les corps brillants se rapprochent et se frôlent, s’éloignent pour ensuite mieux se toucher. Ils sont beaux, les corps. Certains habillés, certains dénudés. Tous, scintillants sous les flashs et la lumière. Tous, des étoiles brillantes et filantes, dans la nuit blanche mais néanmoins multicolore. Les visages, aussi, sont beaux. Illuminés par les projecteurs, sublimés par la musique, enjolivés par l’ivresse. Mon corps bouge d’avant en arrière, mes jambes s’agitent, décollent vers le ciel et piétinent le sol collant. Je lève mes bras en l’air, je rentre le ventre, je cambre les fesses, un déhanché vers la gauche, puis un déhanché vers la droite. Ça bouge, ça danse, ça vit. C’est pas croyable comme ça vit.

Glitter on the wet streets, silver over everything.

Je pense. Je suis venu seul. Avant, je serais jamais venu seul en boîte. Et comme je suis tout le temps seul, je serais jamais venu, tout court. Pourtant, quelqu’un, je sais plus qui, m’a dit un jour : « Il n’y a que des gens seuls dans les boîtes de nuit ». C’est peut-être ça, ce qui m’a convaincu de venir. Peut-être que ce n’était que ça, finalement – la fête, la nuit. Peut-être que nous ne sommes que des gens seuls qui nous tenons compagnie, qui rapprochons nos corps et nos cœurs le temps d’une soirée, dans une danse pour la vie, contre la mort, dans un mouvement de compassion mutuel, dans un soutien choral pour oublier que seuls, on n’est qu’un. Faire corps pour ne pas sombrer, pour ne pas crever, car à la fin, à la fin, Heads will roll on the floor – les têtes vont tomber et on sera tous cannés.

Je prends une grande gorgée dans mon verre.

Boum. Boum. Boum.

Des mecs embrassent des meufs, des meufs embrassent des mecs, des mecs embrassent des mecs, des meufs embrassent des meufs, tout le monde s’embrasse ; tout le monde s’emballe – mon cœur aussi. Il bat, il bat en rythme avec la chanson, avec les lumières. Ma main en frôle d’autres et réciproquement. Les corps sont rapprochés : je sens le souffle du mec derrière moi qui me réchauffe la nuque, et je suis collé à trois autres personnes (une fille a enlevé son tee-shirt) qui dansent, dansent, dansent. Je danse aussi, en avant, en arrière, avec les bras, avec les jambes, avec les hanches.

Je pense encore. Demain, je devrai affronter le vide de mon petit, mais bien trop grand appartement. Pas âme qui vive. Pas une amie, pas un ami pour rire avec moi ; pas un homme, pas une femme pour jouir avec moi. Personne pour m’enlacer, personne pour m’embrasser. C’est moi et le chaos. Rien que moi et le désordre de ma vie pathétique et navrante. Des parents qui meurent, d’autres qui vous pourrissent la vie, des gens qui vous laissent seul, d’autres qui feraient mieux de vous laisser. Et moi au milieu qui essaie juste de pas me foutre par la fenêtre.

Je vide mon verre.

Boum. Boum. Boum.

Les lumières s’agitent, mon cœur bat plus vite. L’humeur de la pièce se fait enivrante et frénétique. Les corps se frôlent, se touchent à un rythme effréné. Rose, le monde. Irééel, le monde. Les Yeah Yeah Yeahs qui chantent. C’est beau, c’est chaud, ça brille, ça danse. En avant et en arrière, en l’air et au sol, à gauche et à droite.

Heads will roll on the floor.

Je pense encore. « T’as abandonné ta vieille mère ? », qu’elle m’a dit. C’est ainsi qu’il en est du monde selon elle – je n’ai pas le droit d’exister sans elle, rien ne doit exister sauf elle ; mais qu’en est-il de moi, qui va s’en soucier, de moi ? Personne. Je ne vais plus la voir car elle m’empêche de vivre, voilà, c’est tout. Et maintenant, elle veut me le faire payer. Comme toujours. Elle me tue quand je la vois et elle me tue quand je la vois pas. C’est elle qui m’a fait vivre mais c’est elle qui me fait mourir chaque jour ; alors pour une fois, pour cette fois, je vais essayer de vivre.

J’inspire très très très fort par le nez.

Boum. Boum. Boum.

Off off with your head.

Les lumières, allumées, éteintes, en rose, en jaune, en bleu, en vert. Mon corps, en avant, en arrière, bras en l’air, ventre en arrière, déhanché gauche, déhanché droite. La musique, les basses, les têtes, la mort, la danse. Le sol qui colle, le souffle dans la nuque, les corps dénudés, les corps habillés, les corps qui font corps.

Dance dance til you’re dead.

Le son des basses, graves, graves, très graves, c’est très grave.

Je pense encore. Un peu. Par flashs. Sa bouche de vieux connard de merde. Ses insultes, ses moqueries. Ses vieilles mains, sa vieille gueule. T’es qu’une merde, t’es qu’une merde – m’a-t-il dit, m’a-t-on dit. C’est toi la merde, c’est toi la grosse putain de merde. Merde, papa, putain, je t’emmerde, et toi, maman, je t’emmerde aussi. Je vous vomis et je vous déteste. Je suis seul, je suis tout seul, je suis bien trop seul, mais au moins je suis sans vous. Ce soir, je vis, je vis, je vis, et je vous emmerde. Je vous dois rien, car vous n’êtes rien, vous êtes moins que rien. Moi, je suis, moi, je vis. Loin de vous, sans vous, certainement pas grâce à vous.

J’avale un truc qu’on m’a filé sans même regarder ce que c’est.

Boum. Boum. Boum.

Yeah Yeah Yeahs. Des corps. Des torses. Des bras. Autour de moi. Je danse. Je frôle. J’enlace. J’embrasse. Je touche. Je vis.

Je pense encore. Merde. Bordel. Putain. Je pense encore, putain.

Off off off with your head

J’avale encore un truc.

Rose. Jaune. Bleu. Vert. Avant. Arrière. En l’air. En arrière. Gauche. Droite. Corps. Visages. Musique. Ivresse. Baiser. Main. Caresse. Corps. Corps. Corps. Langue. Main. Torse. Fesses.

Dance dance dance til you’re dead.

Je pense plus à rien.

Off off off with your head.

La vie. La vie. La vie.

Dance, dance, dance til you’re dead.

Boum. Boum. Boum.

Boum.

Boum.

Boum.

Boum.

Boum.

Boum.

 

Boum.

Publié par

Nicolas Lafarge

Rédacteur indépendant dans ma vie professionnelle, je poursuis l’écriture dans ma vie personnelle. Sur Des mots qui marquent, je laisse s’échapper les récits, les poèmes et les pensées qui me trottent dans la tête.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *