La Maladie d’Amour

« S’il vous plait, ce serait possible de mettre de la musique ? »

Depuis près d’une demi-heure, la radio tournait en boucle : des hommes échangeaient d’un air grave sur un mal mystérieux, qui semblait se répandre dans la population comme une épidémie. On avait connu plus réjouissant pour un premier rendez-vous. Le serveur répondit par l’affirmative et l’inquiétant débat laissa la place à une mélodie plus poétique, celle d’une playlist qu’il avait concoctée spécialement pour l’occasion.

Il n’eut pas besoin de jeter un œil sur sa montre pour savoir qu’il était l’heure — aussi ponctuelle qu’elle l’avait juré, voilà qu’elle poussait la porte du café. 

Elle balaya la salle du regard, il lui fit signe de la main. Elle se dirigea vers lui d’un pas décidé, il se leva pour lui tirer sa chaise d’un geste délicat. 

Une bise timide – de celles où les lèvres effleurent à peine la joue – puis elle prit place, en laissant derrière elle un parfum entêtant.

Elle était la plus belle femme du monde. 

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Les non-résolutions

La nouvelle année. L’occasion de chances inédites, ou la simple continuité de ce qui se déroulait auparavant ? Doit-on, et peut-on vraiment, recommencer à zéro sous prétexte que nous avons, une fois de plus, complété un tour du calendrier ? Est-il seulement possible de faire abstraction du passé ? 

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To love at all is to be vulnerable

On passe notre temps — on, c’est moi, c’est toi, c’est ta mère, c’est ton père, c’est ta collègue, ton patron, ton boulanger, ton président de la République ; on, c’est nous tous, partout, tout le temps —, on passe le plus clair de notre vie, en fait, à porter le masque de quelqu’un que rien n’atteint. Continuer la lecture To love at all is to be vulnerable

La terrasse

Une jeune femme était assise à la terrasse d’un café.

Elle était de cet âge « entre-deux » : plus tout-à-fait vingt ans, mais pas encore le quart de siècle, elle était de cet âge qui n’a pas encore fini d’être insouciant et candide, mais que la vie d’adulte a d’ores et déjà chargé d’un petit peu de son fardeau. Elle avait les joues roses, un trait discret d’eye-liner, les lèvres brillantes de gloss, naturelle mais apprêtée, jolie mais pas vulgaire — surtout ne pas paraître vulgaire. Continuer la lecture La terrasse

L’impulsion de l’Autre

C’est d’une simple impulsion dont j’avais besoin.

On nous rappelle souvent, on vous rappelle souvent, que nous n’avons supposément besoin de personne pour nous sentir en confiance, pour nous sentir heureux, pour nous sentir épanoui.

C’est un bon conseil : il nous rappelle que la force qui nous est nécessaire pour tout entreprendre, à commencer par les actions les plus simples et les plus banales, comme nous lever le matin, nous habiller, nous nourrir, sortir de chez nous – cette force ne vient de nul autre que de nous-mêmes. Personne ne viendra nous prendre la main pour le faire à notre place.

Ce que le conseil omet d’admettre, en revanche, c’est que cette force est une énergie fossile. Elle n’existe en nous que dans des proportions limitées, et ne se réapprovisionne qu’au contact de l’Autre.  Continuer la lecture L’impulsion de l’Autre

Ceux qui rêvent et ceux qui ne rêvent pas

Ainsi, tu crois savoir qu’on ne peut diviser le monde qu’en deux espèces : d’un côté, ceux qui ont des rêves ; de l’autre, ceux qui les ont accomplis. 

D’après toi, les premiers courent après des chimères, et s’émeuvent de ne pas savoir, de ne pas pouvoir les matérialiser. Ils perdent leur temps et leur énergie en rêveries, imaginent leur vie au lieu de l’entreprendre. Ce sont les immobiles et les incapables, les faibles et les perdants. 

Ceux qui ont accompli leurs rêves, en revanche, ont tout gagné, tout réussi. Parce qu’ils ont agi, ils valent mieux que les autres ; parce qu’ils ont accompli, ils se sont accomplis. Ce sont eux, qui méritent toute l’estime du monde, quand les autres, les bons-à-rien, méritent, au mieux l’ignorance, au pire le mépris.

De ces deux catégories, tu te désoles de faire partie de la première, inlassablement et inéluctablement : tu cours après tes rêves, sans jamais les atteindre : tout juste les frôles-tu, de tes doigts bien trop courts et bien trop frêles. 

Et pour cela, tu t’en veux. Pour cela, tu te crois faible, indigne d’être aimé, indigne d’être considéré. Parce que là-bas, en face, il y a ceux qui ont agi ; et que toi, tu ne fais, car tu ne sais, que rêver.

Vois-tu, c’est là que tu te trompes. Continuer la lecture Ceux qui rêvent et ceux qui ne rêvent pas