La terrasse

Une jeune femme était assise à la terrasse d’un café.

Elle était de cet âge « entre-deux » : plus tout-à-fait vingt ans, mais pas encore le quart de siècle, elle était de cet âge qui n’a pas encore fini d’être insouciant et candide, mais que la vie d’adulte a d’ores et déjà chargé d’un petit peu de son fardeau. Elle avait les joues roses, un trait discret d’eye-liner, les lèvres brillantes de gloss, naturelle mais apprêtée, jolie mais pas vulgaire — surtout ne pas paraître vulgaire.

Devant elle, il y avait un verre — du coca (sans sucre), une rondelle de citron — et son téléphone, qu’elle tapotait automatiquement pour regarder l’heure, sans jamais la retenir ni en comprendre le sens, si bien qu’elle réitérait le geste toutes les dix secondes. Il était dix-neuf heures et trois minutes : était-ce trop tôt ou trop tard ? Viendrait-il ou ne viendrait-il pas ? Fallait-il voir dans son retard une raison d’attendre ou un motif de fuir ? Fallait-il encore y croire ? Serait-il comme elle l’imaginait ?

Elle fronçait les sourcils (oh, trois fois rien, c’était à peine perceptible, mais elle les fronçait). À quoi réfléchissait-elle ? Aux espoirs qui craignent d’être déçus, aux amours qui meurent avant de naître, aux désirs éphémères que l’on souhaiterait durables et aux sentiments profonds qui ne sont jamais réciproques. Au fait qu’elle était sans doute tout aussi bien seule, qu’elle n’avait pas besoin de lui ou d’un autre pour exister ; au fait qu’elle misait, malgré tout, tous ses espoirs sur lui, comme elle ne pouvait s’empêcher de le faire à chaque fois. Elle entendait résonner en elle la voix de sa mère : « Ce que tu veux, ça n’existe que dans les films. Tu finiras seule à être aussi exigeante. » Elle finissait presque par y croire.

Dix-neuf heures quatre.

Il était encore temps de partir, de fuir une énième déception, encore temps de renoncer. C’est avant qu’il ne coule qu’il faut abandonner le navire.

Une intuition soudaine, un bruit.

Elle leva la tête.

C’était lui.

Non, c’était lui. 

Publié par

Nicolas Lafarge

Rédacteur indépendant dans ma vie professionnelle, je poursuis l’écriture dans ma vie personnelle. Sur Des mots qui marquent, je laisse s’échapper les récits, les poèmes et les pensées qui me trottent dans la tête.

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